De l’objet à l’enquête de terrain : contextualiser les collections au Museon Arlaten ; l’exemple des fêtes

La rénovation du Museon Arlaten a impulsé un travail de collecte de patrimoine immatériel autour des fêtes régionales. Ces collectes ont été initiées selon des modalités différentes : en partant de l’objet de collection, expression matérielle de pratiques festives et en essayant d’en rechercher l’expression contemporaine ; ou à partir de l’observation de pratiques actuelles, dans la patrimonialisation desquelles le musée a participé.

Les objets de collection témoins des pratiques festives en Provence sont très nombreux dans les collections du Museon Arlaten et ce, dès sa fondation en 1896 par l’écrivain Frédéric Mistral(1). L’attention portée à la collecte et à l’exposition de ces artefacts n’est pas un hasard : les fêtes locales sont l’objet de toute l’attention des folkloristes depuis le XIXe siècle, qui les considèrent comme des faits sociaux non impactés par la civilisation moderne. En outre, pour Frédéric Mistral, dans le cadre du mouvement régionaliste, mettre cette thématique en valeur est aussi un moyen de promouvoir la culture régionale, en luttant contre la centralisation et l’affadissement des traditions locales et de leurs modes d’expression.

Cent-dix ans plus tard, la rénovation du Museon Arlaten a été l’occasion de revenir sur ces thématiques qui, bien qu’abondamment illustrées par les collections dans le parcours, restaient finalement peu explicites pour des visiteurs étrangers à la région ou aux traditions locales. Le projet scientifique et culturel, en proposant de restituer le plus fidèlement possible, et de manière chronologique, les présentations anciennes du musée, permet d’expliciter leurs conditions de production et l’effet performatif que la démarche muséale initiée par Frédéric Mistral a pu avoir sur les populations locales.

Afin d’expliciter et de contextualiser ces collections pour le public d’aujourd’hui, l’équipe du Museon Arlaten a élaboré dans les salles du musée un ensemble de dispositifs numériques au plus près des objets, mais aussi dans des espaces spécifiques dédiés permettant l’approfondissement ou le décryptage des thématiques évoquées. L’objectif principal est de permettre au visiteur d’appréhender concrètement l’objet ou la thématique et d’en illustrer les prolongements contemporains.

L’élaboration de ces contenus a nécessité l’organisation en amont d’une importante mission d’enquêtes de terrain et de collecte audiovisuelle, entreprise de 2008 à 2014 en collaboration avec deux associations, Paroles Vives et Clair de Terre(2) . Ce travail a permis de rassembler de nombreuses informations sur le patrimoine immatériel lié aux fêtes.

Des fêtes religieuses et populaires très représentées dans le parcours muséographique

Dans le manuel de collecte qui organise la constitution originelle de la collection du musée, établi par Émile Marignan en 1896, des chapitres entiers sont consacrés aux fêtes, notamment dans les groupes IV Cultes – cérémonies religieuses traditions populaires, le plus important, qui mentionne de nombreux items en lien avec les fêtes religieuses : objets de culte, gâteaux, rameaux, harnachements de Saint-Éloi(3) , plats sacramentels, cierges, etc. ; le groupe V, Sciences – Arts, qui comprend les instruments de musique et airs populaires notés et le groupe VII : Vie sociale – coutumes – fêtes populaires, qui évoque le cortège de la Tarasque(4) , les danses, les pâtisseries spécifiques et les courses d’hommes, de chevaux et de taureaux.

Dans les salles du musée, les plus nombreux sont les objets liés aux fêtes religieuses, qu’ils participent d’une liturgie ou d’un culte, comme par exemple les fanions illustrés, les bannières, les effigies de saints, les médailles, les instruments des ténèbres, etc. ou qu’ils relèvent du volet profane et festif des célébrations : harnachements de Saint-Éloi, objets de confréries en lien avec l’organisation de fêtes (souliers de prieurs, insignes, etc.), fèves, masques, pains et gâteaux de fête, rameaux décorés pour les enfants, effigie de la Tarasque, récompenses aux vainqueurs de courses, instruments de musique ou idiophones.

Pour documenter et actualiser ces collections et thématiques, une campagne de collecte audiovisuelle a été mise en place. Cette mission a permis de réaliser soixante-seize films documentaires dont trente-quatre consacrés à des fêtes (des fêtes de charrettes à Carnaval, en passant par la Saint-Jean, la Saint-Pierre, les fêtes de la transhumance, les ferias, la fête des olives vertes, les Rois mages d’Aix, la cérémonie du « pastrage » des Baux-de-Provence, etc.)

Collier de Saint-Éloi, XIXe siècle
© S. Normand – Museon Arlaten-musée de Provence
La Saint-Roch à Rognonas, 2010
© F. Martel – Museon Arlaten-musée de Provence

Il était important de partir des objets eux-mêmes : le Museon Arlaten, rendant visibles les collections liées aux fêtes, a légitimé ces dernières ; ses objets sont devenus auprès des groupes impliqués dans les traditions locales des références pour les pratiques actuelles. Un « calendrier festif » a été établi suivant les collections programmées pour l’organisation des prises de vue. Avant chaque captation, un temps de préparation, de documentation et de transmission de connaissances et de contacts était organisé entre l’équipe du musée et les ethnologues.

Certaines thématiques s’imposaient, au vu de leur importance dans les présentations du musée, mais aussi dans les pratiques contemporaines (fêtes de charrettes, de la Tarasque, joutes, pèlerinages des Saintes-Maries). À l’inverse, d’autres étant moins représentées ou illustrées, il semblait nécessaire d’étoffer le sujet (Chandeleur, pastorale, pastrage, Carnaval).

Certains sujets ont pu être approfondis par l’établissement de petits corpus : les fêtes de charrettes ont été filmées dans plusieurs localités et à différents stades, de la cueillette de la garniture décorative à la confection de la charrette (ramée, fleurie ou maraîchère) jusqu’à la préparation des chevaux et à la course. La thématique des joutes nautiques comprend plusieurs films : fête de la Saint-Louis de Sète ou Coupe de Provence, entraînements, entretiens avec des musiciens de barques.

Ces documents montrent l’importante réappropriation actuelle des fêtes traditionnelles, la sociabilité et les enjeux communautaires qu’elles génèrent.

Des pratiques festives à vocation identitaire : l’exemple du costume

D’autres types de collections, érigées par Frédéric Mistral, puis par les acteurs régionalistes, comme instruments majeurs de la promotion de la culture provençale, se sont imposés comme générateurs de pratiques sociales festives. Garant de l’authenticité de la ferveur dans le maintien des traditions, le costume d’Arles devient peu à peu un étendard de l’identité régionale(5) . Les célébrations du costume, instituées du vivant de Frédéric Mistral (Festo vierginenco (6)) et après sa mort (fête du costume, élection de la reine d’Arles), ont perduré et constituent aujourd’hui une pratique sociale parmi les plus dynamiques, témoin du mouvement réflexif entre le Museon Arlaten et son public local.

Festo vierginenco au théâtre antique d’Arles, 1903
© S. Normand – Museon Arlaten-musée de Provence
Fête du costume au théâtre antique d’Arles, 2008
© F. Martel – Museon Arlaten-musée de Provence

Le Museon Arlaten expose de nombreuses pièces du costume régional, du XVIIIe au XXIe siècle, qui servent de références et de modèles aux personnes confectionnant leur costume. Mais il présente aussi d’autres objets qui montrent son implication dans l’élection du costume d’Arles comme enjeu primordial de revendication culturelle et ainsi que dans la codification de ce vêtement : les panneaux didactiques réalisés en 1941 par l’illustrateur Léo Lelée, par exemple, établissent une orthodoxie du costume et fige durablement l’image de l’Arlésienne.

Après avoir connu une baisse d’intensité dans les années 1970-1980, les pratiques liées au port du costume connaissent un regain important depuis une vingtaine d’années. De nouveaux rituels ont même été créés récemment, montrant la force du processus de réappropriation patrimoniale à l’œuvre dans la valorisation de l’identité régionale.

La collecte prévue pour documenter et expliciter les pratiques contemporaines liées au costume d’Arles a été un axe fort du programme d’enquêtes de terrain du musée, initié en 2006. L’enquête, centrée sur l’Arlésienne qui devient au XXe siècle une figure à la fois idéalisée et vivante de la tradition, a pu saisir l’émergence en 2010 d’un nouveau rite de passage investissant le monde de l’enfance : la cérémonie des Mireieto, faisant passer les fillettes de huit-dix ans du bonnet de coton d’enfant à la coiffe de Mireille, plus féminine. Un corpus de film retrace l’invention du rituel.

Cent-trente films ou enregistrements sonores, dont une quinzaine concernant des célébrations, ont été réalisés. Cette étude ne s’est pas concentrée uniquement sur les épisodes festifs, mais la fête reste néanmoins un moyen d’expression privilégié de la culture locale, incarnée par les femmes revêtues du costume (élection de la reine d’Arles, de la Demoiselle des Moulins, de la Maio, fête du Ruban, fête du Costume, Pegoulado, Mireieto, Festo vierginenco, etc.).

Ce travail de collecte à partir des objets du Museon Arlaten a rassemblé des matériaux pertinents pour un début d’observation des logiques à l’œuvre dans les pratiques festives contemporaines. Il doit être poursuivi, mais permet déjà de déceler comment ces dernières construisent, mettent en scène et transmettent une identité régionale, dans un mouvement de revendication culturelle et de résistance à l’effacement des particularismes.

Bibliographie :

Émile Marignan, Instructions pour la récolte des objets d’ethnographies du Pays arlésien, Arles, Musée Arlésien d’ethnographie, 1896.

Anaïs Vaillant, Le costume d’Arles : idéal de féminité ou sentiment de perte d’une culture ? Arles, Clair de Terre – Museon Arlaten 2011.

Consulter les archives audio-visuelles :
– Sur RV au Museon Arlaten.
– Sur le site de la Phonothèque de la Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme (Aix-Marseille Université) : un grand nombre de documents sonores issus des enquêtes sont disponibles à l’écoute.
http://phonotheque.mmsh.huma-num.fr/

1. Frédéric Mistral (1830-1914), promoteur et défenseur de la culture et de la langue provençale, reçut le prix Nobel de littérature en 1904 pour son œuvre en langue régionale.
2. Merci aux ethnologues Corinne Cassé, Florie Martel, Alexandra Tesorini et Anaïs Vaillant.
3. Fêtes issues des confréries de ménagers ou charretiers présentant des défilés ou courses de charrettes décorées, tirées par d’importants trains de chevaux richement harnachés.
4. Fête datée de la fin du XVe siècle se déroulant dans la ville de Tarascon, comprenant courses, jeux et processions mettant en scène un monstre légendaire du Rhône dévoreur d’hommes.
5. Si Frédéric Mistral collecte peu à ce sujet, le même processus est à l’œuvre autour de la bouvino et des traditions taurines, sous l’influence de Folco de Baroncelli.
6. Manifestation mise en place en 1903 au Museon Arlaten pour inciter les jeunes filles à porter le costume traditionnel « en ruban », qui perdure de nos jours.

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