Sur un décor d’Auburtin

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Le mur du grand escalier du Muséum d’histoire naturelle de Marseille, aile droite du Palais Longchamp, est orné d’une toile marouflée représentant des pêcheurs en action.

Toile de 100 x 150 m, signée en bas à gauche « J.Francis Auburtin /Marseille.Paris.1898-99 », inscrite parmi les Monuments historiques au titre objet le 30 mars 1981. Photo Wikimedia Commons.

Elle a figuré au Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts de 1899 sous le n°59 : « Auburtin (J.-F.), Associé, 41 rue Madame, Pêche au gangui dans le golfe de Marseille, (panneau décoratif) » (1).
Jean Francis Auburtin (Paris, 1866-Dieppe, 1930) est proche de Puvis de Chavannes, rencontré en 1895, auteur des deux célèbres toiles du grand escalier du musée des Beaux-Arts, aile gauche du Palais Longchamp, Marseille Colonie grecque et Marseille Porte de l’Orient (1869). C’est peut-être à lui qu’Auburtin doit la commande pour le Muséum de deux sujets marseillais, cette scène et son pendant, La calanque (1900, signée et datée en bas à gauche). On décèle dans ces deux compositions l’influence de Puvis de Chavannes pour La calanque et celle du japonisme pour la scène de pêche : cadrage audacieux, premier plan oblique, motif tronqué, palette intense et limitée, traitement graphique des vagues. Auburtin collectionne les estampes japonaises, fait partie des Amis de l’Art japonais et lit la revue Le Japon artistique (2).
Parmi ses paysages figurent ceux d’une Méditerranée japonisante aux couleurs changeantes, parfois symboliste (3). S’il séjourne surtout à Porquerolles entre 1895 et 1904, une de ses aquarelles est datée du 24 juillet 1897 à Endoume (4).

La toile du Muséum est considérée comme l’illustration de la pêche particulière dont elle porte le titre, en rapport avec le filet utilisé. Peut-on se fier à cette appellation due au peintre lui-même ? Jean-Louis Conil nous écrit :
« Il convient de qualifier d’eissaugue le filet qui présente ici deux poignées de cordage gainées de cuir alors que le gangui comporte une barre en bois ou métal qui glisse sur le fond, surmontée d’un arceau métallique qui tient grande ouverte la bouche du filet. De surcroît, le filet de gangui est gréé sur le mât au moment de le hisser à bord, ce qui n’est pas le cas dans ce tableau.
Les bateaux représentés sont deux mourre-de-pouar. Au premier plan, en pêche avec une eissaugue, filet trainant à poche avec lequel on encercle la zone poissonneuse puis on tire un bord à la voile pour « ratisser » la zone. Ceci fait, on affale les voiles pour hisser le filet à bord, la masse de l’ensemble, filet et poisson, pouvant atteindre 400 kg. Le mousse est en train de récupérer le trinquet (voile d’avant) dont il a désarmé la partègue ou balestron (bâton posé sur le passavant au premier plan). Le vent souffle depuis notre regard vers le fond de la toile. La mestre (grand-voile latine) est ferlée sur son antenne et posée sur le pont sur le côté sous le vent pour dégager la zone de travail des marins. On note que le gouvernail a été embarqué pour ne pas devenir gênant.
Au second plan, le mourre-de-pouar fait route sous un maximum de toile : deux trinquettes bien étarquées par leurs balestrons à l’avant. La mestre bien établie pour le portant, l’antenne presque horizontale fait que l’air capté par la voile tend à soulever le bateau pour qu’il reste bien dans ses lignes d’eau, et, en même temps, l’air qu’elle capte déverse dans les voiles de trinquet qui prennent ainsi toute la poussée possible. On note que les marins, inactifs et en plein vent sont couverts, contrairement à leurs confrères en plein travail qui sont en chemise ou torse nu pour prendre la suée.
Toutes les dénominations d’engins, ou presque, comportent ce risque d’assimilation par apparence qui fait que tout filet tracté peut se trouver dénommé abusivement gangui ».

C’est là un exemple des questions à résoudre à travers l’enquête entreprise par l’association Musées-Méditerranée.

1. Société nationale des Beaux-Arts, Catalogue illustré du Salon de 1899, Ludovic Baschet éd., Paris, avec reproduction gravée p. 165, source Gallica.

2. Dossier de presse de l’exposition du musée de Morlaix, « Le japonisme de Jean Francis Auburtin », octobre 2012-janvier 2013.

3. « Ecume et Rivages, la Méditerranée de Jean Francis Auburtin », exposition du musée Ziem, Martigues, 3 février-30 mai 2010.

4. © Association Auburtin. Les Amis et Descendants de Jean Francis Auburtin. Le site de cette association reproduit également une étude pour La Pêche au guangui, aquarelle et encre de Chine.

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