L’art du cuir doré,
une production disparue ?

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Peu de musées peuvent se targuer aujourd’hui de présenter dans leur parcours permanent des œuvres en cuir doré faisant partie de leurs collections. Hormis quelques exemples fameux conservés au Musée national de la Renaissance à Ecouen (Île-de-France) ou encore au Musée des arts décoratifs, de la faïence et de la mode-Château Borély (Marseille), les cuirs dorés sont excessivement rares dans les collections publiques françaises. La ville d’Aix-en-Provence se distingue par la richesse de son fonds.

Atelier provençal (Avignon?), Tenture en cuir doré repoussé, fin XVIIe-début XVIIIe siècle, tenture, 2,46 m x 1,90 m ;
carreau seul : 0,64 x 0,50 m, Aix-en-Provence, Dépôt de l’État au Musée du Vieil Aix. © Philippe Biolatto, Ville d’Aix-en-Provence.

Si l’on parle fréquemment de « cuirs de Cordoue » ou de « cuirs dorés », ces deux termes prêtent pourtant à confusion. Le travail du cuir s’est certes développé dans l’Espagne mauresque durant le Moyen Age, toutefois il y disparaît presque complètement au début de l’époque moderne, tandis que d’autres foyers apparaissent en Europe, principalement en France (Île-de-France, vallée du Rhône, Provence…), en Italie (Rome, Venise…), aux Pays-Bas (La Haye, Amsterdam…) et en Angleterre. Quant à la deuxième acception, celle-ci présente également une ambiguïté : le cuir tanné est d’abord encollé, avant de recevoir la pose non pas d’une feuille d’or mais d’argent. Celle-ci est ensuite recouverte d’un vernis jaune qui confère au cuir sa fameuse teinte dorée. Cette technique était employée tant pour réaliser des tentures destinées à être accrochées sur les murs d’une pièce, à l’instar des tapisseries de laine, qu’à revêtir le mobilier (table, chaises, coffre…) ou produire des devants d’autels. Fragiles et passées de mode après l’apparition du papier peint au XVIIIe siècle, ces œuvres ont presque toutes disparu en France, en dépit de l’immense succès qu’elles rencontraient auprès des familles aristocratiques et princières entre le XVIe et le XVIIIe siècle.

Production provençale, Tenture de cuir velouté dite « Tontisses » (détail), XVIIe siècle, Aix-en-Provence,
Hôtel d’Estienne de Saint-Jean (Musée du Vieil Aix).
© Philippe Biolatto, Ville d’Aix-en-Provence.

Dans le cadre de son exposition Aix au Grand Siècle, le musée du Vieil Aix consacre une salle au grand décor dans laquelle sont présentées plusieurs œuvres témoignant de ce savoir-faire. Une tenture de cuir doré à fond bleu a fait l’objet d’une restauration exceptionnelle en 2024 et se voit exposée pour la première fois au musée. Avec le soutien de la Conservation régionale des monuments historiques de la DRAC PACA la restauration a été menée par Céline Bonnot-Diconne, rare conservatrice-restauratrice spécialisée dans le traitement de ces décors, assistée de Marie Heran. Elle était déjà intervenue au Musée du Vieil Aix au cours des dix dernières années afin de restaurer une portion de la tenture dite « aux serpents », ainsi qu’un autre décor appelé « tontisses » ou « veloutade », unique exemplaire dans l’hexagone, comportant des reliefs à la poudre de laine.

Atelier d’André Reynier dit Manolly (Aix-en-Provence) (attr.), Tenture aux serpents, en cuir doré repoussé, vers 1668,
2,90 x 2,88 m ; carreau : 0,60 x 0,48 m ; élément de bordure verticale : 0,60 x 0,24 m ; élément de bordure horizontale : 0,30 x 0,48 m.
Aix-en-Provence, dépôt de l’État au Musée du Vieil-Aix.
© Philippe Biolatto, Ville d’Aix-en-Provence.

Consciente de disposer d’un fonds d’une qualité exceptionnelle et d’une grande rareté, l’équipe de la conservation du musée du Vieil Aix va désormais consacrer une salle permanente à cet art décoratif dès 2025, afin de valoriser cette technique prestigieuse et méconnue du public. Cet espace muséographique est pensé comme évolutif, l’accrochage étant destiné à être enrichi au gré des restaurations à venir sur d’autres pièces de cuir doré encore conservées dans les réserves des musées.

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