Paysage aux environs de Martigues
Signé au dos à la peinture noire : A. Derain. Derain, après une formation à l'Académie Carrière où il rencontre les futurs peintres fauves, puis à l'Académie Julian, est, comme bien d'autres peintres, descendu s'éblouir à la lumière du Sud. À partir de 1905 et jusqu'à la guerre, il séjourne régulièrement dans le Midi. En 1906, il passe l'été avec Matisse à l'Estaque. En 1908, il passe huit mois à Martigues où Dufy, Friesz et Braque le rejoignent. Si Collioure est le premier lieu qui attire les fauves, c'est en Provence qu'ils s'installent et reviennent. La lumière du Midi joue un rôle important dans les changements stylistiques du début du siècle, dans l'émergence du fauvisme et du cubisme. Dans une lettre à Matisse écrite le 2 août 1906, Derain écrivait : “... Ici les paysages sont très jolis la lumière est plutôt plus claire qu'à Collioure mais aussi douce. Seul le paysage n'est pas aussi pittoresque, pas aussi italien que celui de Collioure. Cependant derrière il y a de hautes montagnes de craie couvertes de bois de sapins qui sont superbes de sauvagerie et de luminosité.” (Kellermann, op. cit., p. L). Derain vient à deux reprises à Martigues, après Raoul Dufy et avant Matisse. Sa correspondance avec divers amis peintres, Braque, Matisse et surtout Vlaminck, nous permet de savoir ce qu'il venait y chercher et où il résidait : “Je suis dans la Midi. J'y suis plus content que jamais. Tranquille comme tout dans un pays superbe. … Et je crois que c'est ici le seul pays où l'on n'ait que des sensations de peintre.” (Martigues, juin 1908, André Derain, Lettres à Vlaminck, suivie de la correspondance de guerre, texte établi et présenté par Philippe Dagen, Paris, Flammarion, 1995, p. 197). En 1908 il écrit de la maison Chassaigne, un hôtel de la rue Lamartine à Jonquières alors qu'en 1913, de mai à fin novembre, il est installé à la Villa Paradis. La maison se trouve au-delà des Salins de Ferrières, qu'on retrouve dans de nombreux tableaux et proche de la villa de Charles Maurras qu'il fréquenta. C'est au cours de ce séjour qu'il utilise du papier à lettres du Café du Commerce ainsi libellé : “Café du commerce, Et. Gachon, Martigues. (Bouches-du-Rhône), Rendez-vous de MM. les Voyageurs de Commerce et Artistes Peintres, Bière brune et blonde, téléphone 32.” (Kellerman, op. cit., p. 197). Georges Braque vient lui rendre une courte visite à la Villa Paradis en 1913 ainsi que Maurice de Vlaminck. Ce tableau de dimensions modestes appartient à la fin de l'époque fauve de Derain, à un moment où il est tenté par l'expérience cubiste qui se met en place avec Braque et Picasso en 1908. Le paysage est directement issu du fauvisme : il est vivement coloré, principalement en deux tonalités, le vert et l'ocre-orange. L'atmosphère du tableau est constituée par la mise en tension des couleurs chaudes comme le rouge-orangé et des verts plus froids. Dans ce tableau, Derain ne propose pas une matière composée de juxtapositions d'à-plats comme dans d'autres tableaux plus fauves. On a au contraire le sentiment que les différentes surfaces s'interpénètrent. Cependant, les masses sont encore souvent cernées par un épais trait vert foncé tirant sur le noir. L'intérêt pour ce type de plastique amène Derain à présenter un paysage dont la ligne d'horizon est très haute et voisine avec la limite supérieure du tableau : seuls deux petits morceaux de ciel bleu aux angles supérieurs de la toile permettent de situer le paysage et de le caler. La verticalité du tableau est renforcée par la ligne centrale, un peu sinueuse, formée par les maisons et par les troncs d'arbres sur la gauche du tableau. Les zones de végétation vertes aux formes arrondies empêchent une géométrisation trop convenue, Derain ne poussant jamais plus en avant l'expérience cubiste. L'arrière-plan, constitué par la colline, est traité avec plus de flou que le reste de la campagne. L'intérêt spécifique de ce tableau réside dans le fait qu'il porte en lui les marques de sa propre genèse. Une lecture attentive des surfaces peintes montre que sous la colline un grand ciel bleu d'une version antérieure préexiste. Il transparaît par endroits et réchauffe les coloris, notamment dans les surfaces vertes. Dans un premier temps de la conception, l'horizon se situait au deux tiers du tableau : le paysage ainsi composé restait ainsi dans les normes de représentation convenues. Il s'agit bien là d'affirmer la surface d'un regard de peintre dans un paysage de colline, qui dans la réalité ne présente jamais ce caractère de surgissement montagneux. On retrouvera en 1913 ce goût pour des reliefs amplifiés dans un tableau représentant Martigues conservé à Saint-Pétersbourg (Musée de l'Ermitage, Kellermann, op. cit., n° 24). Cette prédilection pour des paysages sans ciel ou avec un horizon placé très haut, comme une plage qui sert de base dans la partie haute pour asseoir le reste du paysage, à l'inverse de la démarche traditionnelle, se retrouve dans plusieurs autres tableaux de la même période. Dans un premier temps, la vue s'organisait différemment comme le confirme l'examen attentif des couches picturales, la photographie en lumière rasante et, dans une certaine mesure, la radiographie aux rayons X. On distingue ainsi l'ancien emplacement d'un tronc d'arbre, véritable rideau qui oblitère en grande partie la vue du spectateur. Un tableau exécuté à Martigues la même année reprend d'ailleurs ce point de vue (Les arbres ou Arbres aux environs de Martigues, 1908, Copenhague, Statens Museum for Kunst, Kellermann, op. cit., n° 138, également acquis par Kahnweiler), avec des arbres qui sont traités de la même manière, sans matière, très en à-plats comme les deux troncs de la partie droite du tableau. Le paysage est alors réduit à la dimension de signes et tend à perdre sa dimension descriptive. On peut y voir une des formes de réponse qu'adresse Derain à la mise en place du cubisme par Braque et Picasso. Le tableau de Martigues manifeste un aboutissement des recherches de Derain sur le paysage : la peinture atteint ici un haut degré de densité, l'austérité des moyens mise en œuvre introduit un univers à la fois apaisé et concentré. Sophie BIASS-FABIANI
Informations détaillées :
Nom de l'artiste : DERAIN André
Genre : Photographie
Domaine 1 : Artistique
Domaine 2 : Autre Paysage
Datation : 1908 / 0 / 0
Période : Période contemporaine (1789 à nos jours)
Provenance : Galerie Theo Waddington, Londres
Dimensions : hauteur : 55 cm ; largeur : 46 cm
Matière : Huile sur toile
Technique : peinture
Commission : 1996
N° inventaire : MZP 96-6-1
Bibliographie expositions : Michel Kellerman, André Derain, Catalogue raisonné de l'œuvre peint, tome 1, 1895-1914, Paris, éd. Galerie Schmidt, cat. 7. Sophie Biass-Fabiani, L'œil à l'œuvre, 1997, n° 17, musée Ziem, Martigues Sophie Biass-Fabiani “Un paysage de Derain à Martigues”, Revue du Louvre, 1998, n° 2, p. 110-113.